En octobre 1992, j'acceptais d'accompagner en Bosnie une ONG d'Aix-en Provence en tant que reporter. 22 tonnes de vivres devaient être acheminées depuis Split jusqu'à Sarajevo. Quatre personnes, le président de l'association, un photographe de la mairie, Jean et moi-même étions du voyage. Je m'étais engagé à réaliser à mon retour une brochure sur cette mission à la seule condition que nous quatre remettrions au préalable en main propre aux bosniaques notre chargement. Condition qu'accepta devant témoins le président. Arrivés à Split depuis Aix en camionnette, nous allions superviser le déchargement des deux semi-remorques dans un entrepôt du port car, contrairement à ce qui avait été prévu, les chauffeurs refusaient de traverser la frontière. La prochaine étape consistait alors pour nous de trouver des camions prêts à faire le voyage jusqu'à Sarajevo. Mais le président en decidait autrement. Il voulait retourner en France et tout laisser dans l'entrepôt. Une vive altercation s'en suivit entre Jean et moi d'un côté, et le président de l'autre. Notre camarade photographe de la mairie était également de notre côté et le président dû se rendre à l'évidence ; il devait tenir parole. Nous prenions alors contact avec La Croix Rouge Internationale qui nous indiquait une petite ville d'Herzégovine, Stolac, qui manquait de tout et serait sûrement très heureuse de recevoir notre aide. Ce qui fut fait. Quelques jours plus tard, nous étions tous les quatre à Stolac pour assurer le bon acheminement des marchandises dans la ville. L'association aixoise, son président ainsi que sa femme furent très mécontents de notre initiative. Pas la ville de Stolac qui nous vit revenir quelques mois plus tard avec nos propres camions achetés par l'association Neretva, créée pour l'occasion.
25 ans plus tard, j'ai l'impression de revivre la même expérience.
Le 30 décembre 2016, j'ai rejoint la Marche Civile pour Alep dans l'unique but d'entrer dans la ville assiégée et laver la honte que je ressens devant l'inaction de nos États face à ce drame humain. J'ai pris ma décision après avoir bien lu et compris le message de cette Marche, à savoir aller de Berlin à Alep à pied (www.civilmarch.org). Or, après avoir marché depuis bientôt 5 mois aux côtés de centaines de personnes venues des 4 coins du globe, reçu l'aide généreuse des populations rencontrées sur la route, affirmé que j'allais à Alep avec la Marche, il est question aujourd'hui de tout arrêter à Istanbul. Pourquoi ? Par peur de possibles arrestations de nos membres en Turquie, par la crainte d'entrer dans une zone de conflit ? Comme si nous n'étions pas conscients des risques encourus au moment de rejoindre la Marche, comme si les organisateurs eux-mêmes n'avaient pas pris conscience de ce qu'ils avaient entrepris cinq mois plus tôt. Mais personne n'oblige personne à traverser la Turquie ni d'entrer en Syrie. C'est pourquoi la Marche Civile devrait continuer, tenir parole et soutenir ceux d'entre nous qui ferons tout pour remplir notre engagement vis-à-vis des syriens. Alors, et pour me débarrasser de toute contingence qui nuirait à cette exigence, j'ai quitté la Marche et poursuis mon chemin. Entre-temps, la Marche Civile s'est divisée en deux ; les organisateurs originels qui sont pour la plupart à Berlin et suivent ponctuellement la progression des Marcheurs, et de l'autre, ces derniers qui, depuis leur départ de Thessalonique, sont livrés à eux-mêmes. Je fais donc de mon mieux pour les supporter et préparer leur arrivée dans les villes où je les précède. S'ils réussissent ainsi à rejoindre Istanbul et souhaitent continuer l'aventure, au moins jusqu'à la frontière syrienne, je ferai tout mon possible pour continuer à les soutenir et pourquoi pas, retarder mon départ de la capitale turque et faire la plus intense partie de la Marche avec eux.
Et ce, avec ou non le soutien officiel de la Marche Civile pour Alep. Renoncer serait trahir notre engagement pour la paix, taire notre message d'espoir. Aussi vain soit-il, c'est tout ce que nous avons à offrir aux victimes du conflit, un message d'espoir que seule notre présence parmi eux peut rendre crédible.
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